L’article ci-dessous est issu du site de la confédération CFDT : Congés payés et maladie : le droit de l’UE enfin transposé, mais a minima – CFDT
La loi portant notamment sur la mise en conformité du droit français avec le droit de l’Union européenne (UE) en matière de congés payés, est enfin entrée en vigueur ce 24 avril 2024.
Si l’on se réjouit de cette transposition tant attendue du droit de l’UE, force est de constater, que celle-ci s’est faite à minima. Certes, le droit à congés payés pendant un arrêt maladie est désormais reconnu aux salariés, mais les mesures introduites par la loi visent à limiter les effets pour les entreprises et les droits des salariés obtenus avec les arrêts rendus par la Cour de cassation le 13 septembre dernier. La loi n’a pas uniquement modifié les règles pour l’avenir, elle peut aussi avoir un effet rétroactif. Loi n°2024-364 du 22.04.24 (art.37).
QUELLES SONT LES RÈGLES APPLICABLES À COMPTER DE L’ENTRÉE EN VIGUEUR DE LA LOI ?
- UNE MODIFICATION DES RÈGLES D’ACQUISITION DES CONGÉS PAYÉS
Pour rappel, jusqu’ici et sauf dispositions conventionnelles plus favorables, les salariés en arrêt de travail consécutif à un accident du travail ou à une maladie professionnelle (AT/MP) n’acquéraient de congés payés (CP) que durant la 1ère année d’arrêt de travail ininterrompu. Pour les salariés en arrêt maladie non professionnelle, c’est bien simple, aucun CP n’était acquis.
La loi a donc modifié ces règles pour les mettre en conformité avec le droit de l’UE. Désormais :
- les salariés en arrêt de travail d’origine professionnelle (AT/MP) acquièrent des CP sans limitation de durée. (L.3141-5, 5° modifié).
- les salariés en arrêts maladie d’origine non professionnelle acquièrent des CP. Ces arrêts de travail sont considérés comme du temps de travail effectif pour l’acquisition des CP (L.3141-5, 7° ajouté).
En revanche, ces salariés n’acquièrent que 2 jours ouvrables de CP par mois d’arrêt de travail pour maladie non professionnelle, dans la limite d’une attribution, à ce titre, de 24 jours ouvrables par périodes de référence, c’est-à-dire, 4 semaines de CP/an. ( L.3141-5-1 nouveau).
A noter : la loi est donc moins favorable que la Cour de cassation qui, dans ses arrêts du 13 septembre 2023, avait jugé que le salarié devait bénéficier des 5 semaines de CP ainsi que des jours de CP conventionnels.
En pratique: – Un salarié en arrêt de travail pour maladie non professionnelle durant toute une période d’acquisition, n’aura acquis que 24 jours ouvrables de CP, soit 4 semaines (2 j x 12 mois) à l’issue de celle-ci. – Un salarié en arrêt maladie non professionnelle sur une partie seulement de la période d’acquisition, pourrait lui acquérir, selon nous (et confirmé par le ministère du travail), plus de 24 jours de CP grâce à la règle d’équivalence prévue par l’article L.3141-4 du Code du travail qui, elle, n’a pas été modifiée par la loi. |
- UNE MODIFICATION DES RÈGLES RELATIVES AUX INDEMNITÉS DE CONGÉS PAYÉS
Pour tenir compte des nouvelles règles d’acquisition des CP, la loi a apporté des précisions quant au calcul de l’indemnité de congés payé.
Pour rappel, pendant ses congés, le salarié perçoit une indemnité de CP qui est calculée par comparaison entre 2 modes de calcul :
– La méthode du maintien de salaire : l’indemnité de CP est égale à la rémunération que le salarié aurait perçue s’il avait continué à travailler.
– La méthode du “dixième» : l’indemnité de CP est égale à 1/10è de la rémunération brute totale perçue au cours de la période d’acquisition.
L’employeur doit ensuite verser au salarié le montant le plus avantageux pour lui.
La modification apportée par la loi concerne l’application de la méthode du 10è, la question étant de savoir comment déterminer la rémunération brute totale lorsqu’un salarié a été en arrêt maladie durant la période d’acquisition des CP (art. L.3141-24 du Code du travail).
C’est ainsi que, pour tenir compte de la modification des règles d’acquisition, la loi a complété le Code du travail. Ainsi, lorsqu’un salarié a connu des périodes d’arrêt de travail non professionnel durant la période d’acquisition, l’employeur devra désormais prendre en compte la rémunération correspondant à cette période d’absence, mais seulement dans la limite de 80% de la rémunération associée à ces périodes (L.3141-24, 4° nouveau). Alors même que la rémunération des salariés en AT/MP est prise en compte à 100%.
Pour le gouvernement cette retenue de 20% se justifie par le fait que les salariés en arrêt de travail non professionnel acquièrent moins de CP que les salariés en AT/MP. Selon nous, cette mesure revient à pénaliser doublement ces salariés. Certes, la modification ne concerne que la règle « du dixième », ce qui signifie que dans tous les cas, l’indemnité de CP devra être au moins égale au salaire que le salarié aurait perçu s’il avait travaillé. Elle retire tout de même un grand intérêt à la méthode du 10ème qui pouvait, dans certains cas, s’avérer beaucoup plus favorable au salarié que celle du maintien de salaire.
La loi a également apporté des précisions s’agissant de l’indemnité compensatrice de CP dues aux salariés temporaires. Elle a ajouté à la liste des absences prises en compte pour le calcul de cette indemnité :
– les périodes d’arrêt maladie (d’origine professionnelle ou non),
– les périodes de congé de paternité et d’accueil de l’enfant (L.1251-19 modifié)
- UNE MODIFICATION DES MODALITÉS ET DES DÉLAIS POUR LA PRISE DES CP
Une obligation d’information à la charge de l’employeur
Depuis le 24 avril 2024, lorsqu’un salarié reprend son travail à la suite d’un arrêt de travail (qu’il soit d’origine professionnelle ou non et quelle que soit sa durée), l’employeur doit, dans le mois suivant cette reprise, l’informer :
- du nombre de jours de congé dont il dispose,
- de la date jusqu’à laquelle ces congés peuvent être pris.
Cette information peut se faire par tout moyen permettant de lui conférer une date certaine, notamment via le bulletin de paie (L.3141-19-3 nouveau).
L’introduction d’une période de report des congés payés
Pour rappel, jusqu’ici, lorsqu’un salarié s’était trouvé dans l’impossibilité de prendre ses congés annuels au cours de la période prise habituelle en raison d’absences liées à la une maladie ou à un AT/MP, les CP acquis étaient reportés après la date de reprise du travail (1). La loi ne prévoyait alors aucune limite dans le temps pour écouler ces CP non pris.
C’est désormais chose faite. Sans surprise, le gouvernement a introduit dans le Code du travail une période limite de report des CP non pris. Ainsi, lorsqu’un salarié s’est trouvé dans l’impossibilité de prendre tout ou partie de ses CP au cours de la période habituelle de prise en raison d’une maladie ou d’un accident, il dispose d’une période de 15 mois pour les utiliser (L.3141-19-1, al.1 nouveau).
A noter qu’un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, de branche, peut fixer une période de report plus longue, mais pas plus courte (L.3141-21-1 nouveau).
Quel est le point de départ de ce report ? Attention, c’est ici que les choses se compliquent car la loi pose un principe et une exception :
- En principe, le délai de 15 mois court à compter de la date à laquelle le salarié reçoit, après avoir repris le travail, les informations sur ses droits à CP (info qui sont donc transmises dans le mois). Ainsi, tant que le salarié n’a pas reçu cette information, le délai de report ne court pas. Attention, car à défaut d’utiliser ses congés dans ce délai, le salarié devrait les perdre ( L.3141-19-1, al.2 nouveau). Ce point de départ peut donc, en principe, concerner tous les CP acquis par le salarié avant son arrêt de travail (et ce, qu’il les ait acquis sur des périodes de travail ou d’arrêt de travail).
- Une exception est toutefois prévue dans les hypothèses de longue maladie : lorsqu’à la fin de la période d’acquisition des congés, il s’avère que le salarié est en arrêt de travail (d’origine professionnelle ou non) depuis au moins 1 an, la période de report de 15 mois débute dès la fin de cette période d’acquisition (et non au retour du salarié absent) (L.3141-19-2 nouveau). Ce point de départ anticipé de la période de report ne concerne, a priori, que les CP acquis sur cette période.
De là, 2 cas de figure sont à envisager :
- Si le salarié est toujours en arrêt au terme de ces 15 mois : les CP ainsi acquis sont alors définitivement et automatiquement perdus.
- A l’inverse, si le salarié revient dans l’entreprise avant l’expiration du délai de 15 mois, la période de report est alors suspendue, jusqu’à ce que l’employeur l’informe de ses droits à congés (au plus tard dans le mois suivant sa reprise). Une fois le salarié informé, la période de report reprend pour la fraction qui reste à courir.
Attention, si cette fraction n’est pas suffisamment longue pour couvrir l’entièreté des droits à congés acquis par le salarié, les CP qui n’auront pu être pris dans cet intervalle seront, nous semble-t-il, perdus (L.3141-19-2, al.2 nouveau). La loi ne prévoyant pas de nouvelle période de report…
Autrement dit, dès lors que vous aurez été absent durant toute une période d’acquisition (par ex, du 1er juin 2022 au 31 mai 2023) : – vous aurez, au 31 mai 2023, acquis des CP (24 ou 30 jours selon l’origine de la maladie) ; – vous avez, à compter du 31 mai 2023, un délai de15 mois pour les prendre, c’est-à-dire, en principe, jusqu’au 31 août 2024. Attention ! Ce délai débute et court même si vous êtes toujours en arrêt maladie et quand bien même votre employeur ne vous a transmis aucune information quant à vos droits à congés. Ensuite : – si vous êtes toujours en arrêt de travail à la fin de la période de report (au 31/08/24): vos congés sont perdus. – si vous reprenez votre poste avant la fin de la période de report (par ex: le 15 juillet 2024), cette période est suspendue et recommencera à courir dès que votre employeur vous aura informé sur vos droits à congé. Ici, le délai de report repartira pour 45 jours. |
Attention ! Dans la mesure où l’information de l’employeur constitue désormais le point de départ d’une période de report des CP non pris, (au terme de laquelle vous pouvez les perdre), il est essentiel d’être vigilant et d’en prendre connaissance régulièrement, quelle que soit la manière dont cette information vous sera transmise (bulletin de paie électronique, papier, autre.).
ET POUR LES PÉRIODES D’ARRÊT MALADIE ANTÉRIEURES À LA LOI ?
Si ces nouvelles règles s’appliquent évidemment à compter du 24 avril 2024, en réalité, c’est depuis le 1er décembre 2009 (2) que les salariés sont fondés à réclamer leurs 4 semaines de congés minimum y compris lorsqu’ils ont été en arrêt maladie (professionnelle ou non). C’est pourquoi la loi a prévu de rendre, certaines de ces mesures, applicables y compris pour le passé (période allant du 1er décembre 2009 au 24 avril 2024).
Ainsi, à moins qu’un jugement passé en force de chose jugée ait déjà été rendu sur ce point (3), ou à moins qu’il existât des dispositions conventionnelles plus favorables à la date d’acquisition des congés, les règles suivantes vont s’appliquer aux situations passées.
Les règles d’acquisition des CP des salariés en arrêt maladie non professionnelle (4). La loi reconnaît que ces salariés ont donc rétroactivement acquis des congés payés (à hauteur de 2j ouvrables/mois, soit 24 j/an). En revanche, contrairement aux règles d’acquisition applicables à compter du 24/04/24 (où la règle de l’équivalence peut s’appliquer), cette acquisition rétroactive ne pourra en aucun cas amener les salariés à obtenir plus de 24 jours ouvrables de CP par période d’acquisition.
Admettons qu’en 2010, un salarié a été en arrêt de travail durant 2 mois sur la période d’acquisition fixée dans l’entreprise, il n’aura donc acquis, à l’époque, que 25 j de CP (10 mois x 2,5j). Mais il ne pourra réclamer aucun jour de congés supplémentaire pour les 2 mois où il a été en arrêt maladie, puisqu’il a déjà bénéficié d’au moins 24 jours de CP pour cette période d’acquisition. A l’inverse, si, sur cette même période, il a été en arrêt maladie durant 4 mois, il n’aura alors acquis que 20 jours de CP (8 mois x 2,5j) et sera donc recevable à réclamer 4 jours supplémentaires. Et ce, alors même qu’il aurait pu en réclamer 8, c’est à dire, 2j x 4 mois. |
A noter : parmi ces mesures rétroactives, la loi ne vise pas les salariés qui ont été en arrêt de travail suite à un AT/MP pendant plus d’un an. Selon nous, cela ne les empêche pas d’agir en justice pour réclamer leurs droits sur la base des arrêts rendus par la Cour de cassation le 13 septembre dernier(5).
La période de report des CP de 15 mois, ses points de départ distincts, et l’obligation d’information de l’employeur s’appliquent également à la période passée (6). Ce qui va nettement limiter l’intérêt à agir des salariés pour ces périodes, puisque si l’on reconnaît qu’ils ont bien acquis des CP durant leurs arrêts de travail, il est introduit dans le même temps un dispositif susceptible de leur fait perdre automatiquement leurs droits à CP.
Ainsi, un salarié qui aura été absent pour maladie sur toute une période d’acquisition (par ex : 2012/2013), aura bien rétroactivement acquis des CP sur cette période. Seulement, il avait 15 mois pour les prendre à compter de la fin de cette période d’acquisition. Si, à l’expiration de ce délai, il n’avait toujours pas repris son poste, on considère que ces congés sont perdus. Si, en revanche, il a repris le travail avant l’expiration de ce délai, on considère que la période de report a alors été suspendue et qu’elle l’est restée jusqu’à ce que l’employeur informe le salarié de ses droits à congés (nouvel article L.3141-19-3). Cela ne devrait être évidemment possible qu’à partir de l’entrée en vigueur de la loi. Ce qui laisse plus ou moins de temps au salarié pour prendre ces congés acquis il y a plus de 10 ans.
Les modalités de calcul de l’indemnité de congés payés sont également rétroactives (7)
La loi a également précisé, pour certains salariés, les délais pour réclamer ces congés passés
Les délais pour agir en justice en vue de réclamer des congés acquis entre 2009 et 2024, varient selon que le salarié est, ou non, au 24 avril 2024, toujours lié à son employeur :
- Si le salarié est toujours en poste, la loi a fixé un délai : le salarié a 2 ans, à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi (soit jusqu’au 23 avril 2026 minuit), pour réclamer en justice les jours de CP (et non une indemnité) dont il a été privé entre 2009 et 2024. Attention ! Au-delà, il ne sera plus possible d’exercer une action visant à récupérer ces CP !
- Si le salarié a quitté son poste, la loi n’a alors rien prévu. Ce sont donc les règles habituelles qui s’appliquent, c’est-à-dire celles prévues par l’article L.3245-1 du Code du travail. Les salariés qui réclament un salaire (ou une indemnité compensatrice de CP) ont donc 3 ans pour agir à compter du jour où ils ont connu ou auraient dû connaître les faits leur permettant d’exercer leur droit. A noter, que contrairement aux salariés en poste, ces salariés ne peuvent réclamer qu’une indemnité compensatrice de CP.
Pour le Gouvernement, qui s’appuie sur l’avis du Conseil d’Etat (8), les salariés qui ont quitté leur entreprise depuis plus de 3 ans à la date d’entrée en vigueur de la loi, ne pourraient plus agir en justice pour obtenir le paiement de leurs CP passés.
Selon nous, cette interprétation soulève des interrogations. Il se trouve que le point de départ de l’action en paiement des indemnités de congés payés a été aménagé et précisé par la jurisprudence de l’UE et par la Cour de cassation qui, ensemble, considèrent que le délai de 3 ans pour agir court à la fin de la période au cours de laquelle le salarié aurait dû prendre les CP dont il n’a pas bénéficié et seulement si l’employeur l’a effectivement mis en mesure d’exercer ses droits à congés sur cette période. Ce qui n’a évidemment pas pu être le cas de ces employeurs. Dans ces situations, on pourrait donc considérer que ce délai de 3 ans n’a jamais commencé à courir.
Quant aux salariés qui ont quitté leur entreprise depuis moins de 3 ans, ils sont, en tout état de cause, encore dans les délais pour agir. Ils peuvent donc réclamer des CP acquis par le passé et se verront appliquer les mêmes règles rétroactives que les salariés encore sous contrat. Sur ce point demeure toutefois une incertitude quant à la période jusqu’à laquelle ils peuvent remonter dans leur demande.
Vous l’aurez constaté, la mise en œuvre de ces nouvelles règles est loin d’être simple et soulève (et ne manquera pas de soulever), de nombreuses questions pratiques.
Au-delà de ce dispositif complexe et peu lisible pour les salariés et les employeurs, cette transposition est donc loin d’être satisfaisante. Sous plusieurs aspects, les mesures introduites par la loi rompent l’égalité entre les salariés et pénalisent notamment les plus fragiles dont les arrêts de travail sont les plus longs…Une transposition plus juste, plus simple et plus sécurisante était pourtant possible. Ce que nous n’avons cessé de porter tout au long de l’élaboration de cette loi.
Il est par ailleurs très regrettable que le Gouvernement n’ait pas profité de cette loi de transposition pour mettre notre droit en conformité avec le droit de l’UE s’agissant de l’impact de la maladie qui survient pendant une période de congés (9). Il est toutefois fort probable que la Cour de cassation, saisie de cette question, fasse évoluer sa jurisprudence (10).
(1) Cass.soc.28.09.11, n°09-70612 ; CJUE, 10.09.09, aff.- C-277/08, Vicente Pereda.
(2) Le 1er décembre 2009 correspond à la date d’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, Traité qui a donné une force juridique contraignante à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui prescrit que tout travailleur a droit à une période annuelle de congés payés (art. 31, 2).
(3) Il s’agit des jugements qui ne sont plus susceptibles de recours, soit parce que les recours ont été épuisés, soit parce que les délais sont expirés
(4) Art. L.3141-5, 7° et L.3141-5-1 C.trav.
(5) Cass.soc.13.09.23, n°22-17638.
(6) Art. L.3141-19-1 à L.3141-19-3 C.trav.
(7) Art. L.3141-24, 4° C.trav.
(8) Avis CE, 11.03.24, n°408112.
(9) CJUE, 21.06.12, aff. C-78/11, ANGED c/FASGA.
(10) Cass.soc.04.12.96, n°93-44907.